Quel est le point commun entre François Bayrou, Ségolène Royal, Jean-Marie Le Pen et Nicolas Sarkozy ? Un entretien accordé à Internautes Micro, magazine bimestriel qui s'adresse au grand public.
Pour le numéro de mars-avril, "les quatre candidats étant en mesure d'atteindre le second tour de l'élection présidentielle" ont été interrogés sur le peer-to-peer, la fracture numérique, la CNIL, l'économie, la gouvernance de l'Internet et la cybercriminalité.
Quelques jours avant l'échéance nationale, Cyber-police.org tenait à vous faire partager leurs points de vue et remercier la rédaction du magazine (redaction@idpresse.com) pour son aimable autorisation de reproduction des interviews.
Voici par ordre alphabétique les entretiens de François Bayrou, Jean-Marie Le Pen, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy accordés à Internautes Micro.
Entretien avec François Bayrou Peer-to-peer et droit d'auteur François Bayrou créa la surprise en prenant position contre le projet de la loi DADVSI au sein de l'Hémicycle. Sa cote d'amour auprès des internautes date de cette période. Un après, propose-t-il une alternative ? François Bayrou : L'information devient désormais active, illimitée dans le temps et dans l'espace, et le partage gratuit y joue un grand rôle. Que tout ne soit pas marchand, c'est la logique quotidienne de l'Internet. Mais s'il n'y a pas de rémunération ni de protection des droits, il n'y a plus de création ! Sur ce point, la loi DADVSI n'a rien réglé, et il faudra bien sûr la corriger et l'améliorer. Mon intuition, c'est que deux secteurs vont vivre en même temps : celui des droits protégés, sous forme d'achats en ligne, moins chers qu'aujourd'hui, et un secteur dédié au partage gratuit, comprenant les oeuvres libres de droits et celles que leurs créateurs auront mises à disposition. Fracture numérique Aménagement du territoire, éducation, formation : quelles ambitions et quels moyens pour réduire la « fracture numérique » ? FB : Il y a tant d'informations, de démarches administratives, d'offres commerciales qui sont accessibles seulement sur Internet, ou de façon bien plus aisée sur Internet, qu'il faut considérer et assurer comme un droit la possibilité d'accéder à celui-ci. Il peut y avoir des dispositions pensées pour certains publics ; je pense à l'accès des gens du voyage à Internet : ATD Quart Monde et d'autres demandent qu'il y ait une offre Internet haut débit par carte prépayée. Cela éviterait de devoir passer par le réseau mobile 3G, qui est très coûteux. Cybercriminalité Le Net est un terrain de jeu formidable pour les nouvelles mafias numériques. Quelle sera la stratégie de l'UDF ? FB : Les Etats européens avec leurs frontières, leur droit pénal toujours différent de celui du voisin, leur police séparée, c'est une aubaine formidable pour les organisations criminelles, un boulevard pour la cybercriminalité, qui se moque des frontières administratives. Face au crime organisé, aux trafics internationaux, aux mafias, nous organisons notre impuissance. Seule l'échelle européenne permettra de résoudre ces questions Contrôle & Libertés Ce « contrôle » de l'Internet pose aussi le problème du contrôle des libertés... Internet libéral ou Internet réglementé ? FB : Plutôt que de créer sans cesse de nouvelles réglementations, il s'agit pour moi de faire appliquer sur le Net, avec les adaptations nécessaires, les réglementations qui existent : sur la concurrence (problème de la vente liée), sur l?activité commerciale (question posée par la vente sur eBay), sur les monopoles et les achats publics (libre concurrence entre logiciels et systèmes d'exploitation), etc. L'Etat ne peut pas, dans un monde en mouvement rapide et général, trouver les réponses à la place de la société. La création, l'invention nécessitent une société de l'autonomie, la reconnaissance par les pouvoirs publics de la légitimité de partenaires civils. La direction dans laquelle il me semble le plus facile d'avancer, et qui est aussi une condition de cette autonomie, c'est la transparence. Gouvernance de l'Internet Au niveau international, l'Europe, l'Asie et de nombreux pays émergents remettent en cause la mainmise des autorités américaines sur l'Internet via l'ICANN. La menace est-elle réelle ? Quelles alternatives ? FB : Je ne me prononcerai pas en terme de menaces, mais de démocratie. Nous avons dans l'Internet une initiative qui est américaine, qui bénéficie au monde entier, et qui finalement concerne tous les domaines de notre vie privée, publique, de l'activité commerciale et culturelle... il faut donc bien évidemment aller vers une régulation plus démocratique, plus partagée, de l'Internet. Economie Les jeunes entrepreneurs français ne manquent pas de talent. Mais toutes les grandes réussites Internet sont étrangères. Comment favoriser ce secteur innovant ? FB : Notre pays compte beaucoup de talents créatifs et, mieux, cette créativité s'adresse spontanément au monde entier, ce qui est un atout formidable dans la mondialisation ! Beaucoup de ces talents vont à l'étranger, et c'est normal - la recherche, l'innovation se jouent à l'échelle du monde - mais beaucoup entreprennent là-bas et ne reviennent pas chez nous, ce qui est un drame national.
FB : C'est un événement très important dans l'histoire que Wikipédia soit devenu, en si peu de temps, par une démarche de coopération et de mutualisation, la plus grande encyclopédie que l'humanité ait jamais connue.
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Entretien avec Jean-Marie Le Pen Peer-to-peer et droit d'auteur Jean-Marie Le Pen s'est montré l'un des opposants les plus véhéments au projet de loi DADVSI. Il a promis son abrogation en cas d'élection. Toujours d'actualité ? Jean-Marie Le Pen : La loi DADVSI sera abrogée, les échanges privés de fichiers informatiques doivent rester libres, c'est une question de principe. La licence globale (de l'ordre de 5 euros par mois selon les estimations et qui sera payée exclusivement par les internautes qui téléchargent beaucoup) permettra de rémunérer les artisites. Cette position concilie la liberté individuelle avec la juste rémunération des artistes-interprètes. Fracture numérique Aménagement du territoire, éducation, formation : quelles ambitions et quels moyens pour réduire la « fracture numérique » ? J-M LP : Déjà, tous les Français ne bénéficient pas de l'Internet rapide (ADSL), et une nouvelle fracture se crée actuellement avec l'Internet à très haut débit (par fibre optique) puisque les opérateurs se battent pour câbler les centres-villes : on aura ainsi des surcapacités dans les villes et rien dans les zones faiblement peuplées ! Economie Les jeunes entrepreneurs français ne manquent pas de talent. Mais toutes les grandes réussites Internet sont étrangères. Comment favoriser ce secteur innovant ? J-M LP : La domination des Etats-Unis sur Internet est réelle, comme elle l'est dans l'informatique, avec Microsoft d'ailleurs. Que faire ? Créer les conditions de l'émergence de champions nationaux et mondiaux ! Les créateurs d'entreprise sont écrasés par les charges et la réglementation ! Il faut libérer notre économie, baisser les impôts, relancer la croissance pour que nos entrepreneurs les plus brillants ne partent pas à l'étranger. Cette fuite des talents trahit l'incompétence de ceux qui nous gouvernent depuis 30 ans. Cybercriminalité Le Net est un terrain de jeu formidable pour les nouvelles mafias numériques. Quelle sera la stratégie du FN ? J-M LP : Ceux qui sont incapables de combattre la délinquance dans notre vie concrète le sont évidemment aussi dans le monde virtuel de l'Internet et des réseaux ! La politique de retour à la sécurité que je mettrai en place concernera également la cybercriminalité, et elle nécessitera des moyens supplémentaires, mais qui n'empiéteront pas sur les libertés individuelles. Contrôle & Libertés Ce « contrôle » de l'Internet pose aussi le problème du contrôle des libertés... Internet libéral ou Internet réglementé ? J-M LP : Il ne faut pas opposer la sécurité et la liberté : la première des libertés c'est la sécurité ! Sur Internet comme dans la vie "réelle", la sécurité doit être assurée à tous. Internet offre un nouvel espace d'expression, chacun avec son blog peut influencer l'opinion, cette liberté et cette richesse doivent être garanties. Je fais confiance à la liberté et au discernement des Français et je m'oppose à toute entrave à la liberté d'expression. Quant aux rôles et missions de la CNIL, d'une façon générale, je ne suis pas favorable à la création de "commissions" chargées de régenter un domaine précis et dans lesquelles on nomme des amis du pouvoir, mais plutôt à des textes de loi clairs et défendant l'intérêt général. Pour élaborer les consignes concernant la campagne électorale, la CNIL a d'ailleurs invité toutes les formations politiques, sauf le Front National ! La neutralité de la CNIL serait une première condition à poser.
Trois sites que vous aimez à consulter régulièrement et que vous conseillez à nos lecteurs ? J-M LP : www.lepen2007.fr : bien sûr, pour suivre ma campagne électorale. www.frontnational.com, www.ina.fr pour rechercher des vidéos intéressantes.
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Entretien avec Ségolène Royal Peer-to-peer et droit d'auteur En mai 2006, vous vous êtes prononcé contre le projet de loi DADVSI qui pénalise les échanges illégaux de biens culturels via les réseaux d'échange peer-to-peer. Abrogerez-vous ce texte, l'adapterez vous ? Quelles solution de rémunération proposerez vous aux artistes, quels nouveaux modèles économiques envisagez vous ? Ségolène Royal : L'annulation par le Conseil constitutionnel des dispositions de la loi DADVSI portant sur le peer-to-peer a démontré le caractère juridiquement erroné et impraticable des choix faits par le gouvernement de droite. Par ailleurs, la stratégie fondée sur l'intimidation judiciaire et les DRM a échoué. La filière musicale est en train de choisir un nouveau modèle économique fondé sur des offres gratuites ou sans DRM. Fracture numérique Le programme du parti socialiste annonce que «l'accès universel à l'internet de haut débit sera garanti». Que cela signifie-t-il concrètement ? SR : La priorité sera de développer les infrastructures pour généraliser l'accès au haut débit. Nous achèverons la couverture du territoire par un programme national d'aménagement numérique et par la création d'un fonds numérique pour les projets des collectivités locales. Une nouvelle génération d'infrastructures fondées sur la fibre optique pourra être construite dans le cadre de ce programme. Cybercriminalité SR : Dans ce domaine, nous devrons lutter contre la "vraie" cyberdélinquance, ce qui passe par une adaptation technologique des services de police. Ainsi la gendarmerie, qui a déjà engagé sa mutation technologique, s'est vue confier la traque des pédophiles, avec quelques succès. Comme dans le domaine du renseignement, il est important de revaloriser les fonctions techniques par la formation des policiers et en leur adjoignant des porteurs de compétences techniques. Contrôle & Libertés Ce «contrôle» de l'Internet pose aussi le problème du contrôle des libertés... Internet libéral ou Internet réglementé ? Je renforcerai les moyens de la CNIL pour lui permettre de faire face à ses missions. J'entends revenir sur les dispositions des lois Sarkozy votées depuis 2002 qui, au nom de la lutte contre la délinquance, contre l'immigration irrégulière ou contre le terrorisme, ont fortement déséquilibré notre système de protection des données personnelles. Démocratie participative Une fois la campagne terminée, Internet servira-t-il à promouvoir et mettre en pratique le principe de «démocratie participative» défendu par la candidate socialiste ? SR : Grâce au réseau Désirs d'avenir, nous avons expérimenté, au cours des derniers mois, de nouvelles méthodes de débat en ligne : plus de 135.000 contributions ont été déposées sur le site. Pour traiter ces contributions et en dégager des synthèses, nous avons mis en place des dispositifs collaboratifs. J'entends tirer parti de cette expérience pour promouvoir de nouvelles formes de débat public. Economie SR : Il va falloir créer tout un environnement favorable à l'innovation, en prenant en compte les particularités du monde de l'Internet et dulogiciel. La droite a exalté les PME, les entrepreneurs, les "jeunes pousses"... mais elle a continué de financer la R&D des grands groupes. Alors que l'innovation est, dans ce domaine plus qu'ailleurs, souvent le fait de petite structures au développement très rapide. Les conditions d'accès aux aides doivent être revues. Imposer des contraintes de fonds propres à une start-up n'a ainsi pas forcément de sens. Les procédures doivent être accélérées. Du soutien aux PME au financement de la R&D, je souhaite réorienter les politiques d?innovation autour de logiques d?ouverture : standards ouverts, publications scientifiques ouvertes, stratégies « Open Source ». Trois sites que vous aimez à consulter régulièrement et que vous conseillez à nos lecteurs ? En ce moment, je n'ai le temps d'en consulter qu'un, pour rester à l'écoute des citoyens qui m'accompagnent dans ma démarche : c'est le site participatif que j'ai créé : www.desirsdavenir.org
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Entretien avec Nicolas Sarkozy
Peer-to-peer et droit d'auteur Nicolas Sarkozy a approuvé le projet de loi DADVSI et soutenu les choix du ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, très critiqué par les internautes et parfois au sein même de l'UMP. Rouvrira-t-il le débat après son élection ? Nicolas Sarkozy : Ma position n'a pas changé, la loi réaffirme la protection de la propriété littéraire et artistique dans l'univers numérique. C'était le préalable indispensable à l'émergence d'offres légales, quelle que soit la technique utilisée. C?est très exactement ce qui se passe depuis quelques mois, à l'opposé d'une « licence globale » qui aurait gelé et asséché ce secteur. Le dossier n'est pas clos pour autant, le bilan prévu pour fin 2007 sera bien réalisé, de la façon la plus ouverte possible, et les conditions d'usage des oeuvres numériques doivent évoluer, je souhaite que l'interopérabilité devienne une priorité stratégique industrielle européenne. Fracture numérique Aménagement du territoire, éducation, formation : quelles ambitions et quels moyens pour réduire la «fracture numérique» ? NS : Il y a plusieurs fractures. La première est celle de l'accès à l'Internet, que je veux voir reconnu comme une obligation de service public sur tout le territoire ; mais surtout il faudra mettre en oeuvre un cadre réglementaire favorable aux investissements en très haut débit des opérateurs. La seconde est celle de l'équipement et de la pratique : tous n'ont pas les moyens d'acquérir un ordinateur, ni le temps d'acquérir les connaissances nécessaires à sa bonne utilisation. Je ne veux pas de « laissés pour compte » du numérique, qu'ils soient seniors, sans emploi, étudiants, personnes isolées, ou autres. C'est pourquoi je souhaite renforcer considérablement l'usage d'Internet dans l'éducation ; mais aussi créer un véritable réseau de formation de proximité à l'Internet, appuyé par exemple sur le réseau des points d'accès publics à l'Internet. Cybercriminalité Le Net est un terrain de jeu formidable pour les nouvelles mafias numériques. Quelle sera la stratégie de l'UMP ? NS : La cybercriminalité peut être financière, mais elle concerne aussi la pédophilie ou l'incitation des mineurs à la violence... La première ligne de défense, c'est l'utilisateur. D'où l'importance d'un très large effort de formation à l'usage d'Internet. Dans le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance que j'ai présenté au Parlement, il est prévu également la création de « cyber-patrouilles » pour enquêter sur de tels délits. Les moyens existent, mais leur organisation actuelle souffre de dispersion et d'absence de coordination. Cette coordination doit avoir lieu, tant au niveau national qu'international. Contrôle & Libertés Ce «contrôle» de l'Internet pose aussi le problème du contrôle des libertés... Internet libéral ou Internet réglementé ? NS : Il n'y a pas et il ne doit pas y avoir de différence entre les libertés numériques et les libertés du monde physique. Tout l'objet des différentes lois récentes ou en cours d'élaboration est bien celui-ci : parvenir à transposer dans l'univers numérique, la protection de nos droits physiques. Cette régulation ne s'oppose pas à la liberté, elle la permet. Elle ne s'oppose pas à la mise en place de mesures favorisant l'extraordinaire dynamique d?Internet, elle l'encourage. Le développement des fichiers, d'Internet, et des multiples applications numériques dans la vie quotidienne, je pense au dossier médical personnel par exemple, rend le rôle de la CNIL de plus en plus important. Elle doit disposer des moyens nécessaires à ses missions, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Mais elle doit aussi veiller à ce que ses décisions soient strictement inspirées par la recherche de l'intérêt général et non par quelques positions particulières ou dogmatiques. Gouvernance de l'Internet Au niveau international, l'Europe, l'Asie et de nombreux pays émergeants remettent en cause la main mise des autorités américaines sur l'Internet via l'Icann. La menace est-elle réelle ? Quelles alternatives ? La gestion actuelle par l'ICANN n'est pas une « menace » pour les autres pays. La véritable menace serait de voir ces questions du ressort de pays peu respectueux de la liberté d'expression. La création, à la suite du dernier Sommet mondial sur la société de l'information de Tunis, d'une plateforme de dialogue permanent, le Forum sur la Gouvernance d'Internet, est un premier pas vers une gestion plus équilibrée de l'Internet à l'échelle internationale. Il faut aller plus loin. Je souhaite que la France participe plus activement à ces discussions qui structurent l'avenir d'Internet dans le monde, et la prochaine réunion du forum, en novembre 2007 à Rio, en donnera l'occasion. Trois sites que vous aimez à consulter régulièrement et que vous conseillez à nos lecteurs ? NS : (NDLR : Pas de réponse).
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